© Jessica + MACKENZIE FOY

Certains enfants bénéficient d’une vie heureuse et parfaite, tout du moins jusqu’à l’adolescence où tout vole généralement en éclats quelque soit la situation de base. Malheureusement, Malory n’a pas cette chance. Sa petite enfance s’impose à son esprit comme une série de cris et de disputes. Ses parents n’étaient jamais d’accord. Et ils tenaient à le faire savoir au monde entier. Même sur le parking de l’école maternelle, devant les autres adultes, effarés. Et, surtout, leur petite fille, qui n’avait que les larmes et des peluches pour se consoler. Parfois, alors qu’elle se promène dans un lieu dénué de bruit, la violence verbale lui revient en tête, se déversant dans le vide. Mais ses mains d’enfants ne se posent plus sur ses oreilles pour calmer le drame ; ça ne soulage pas. Le divorce a été un soulagement, pour une pas dire une bénédiction. Jusqu’à ce que ses parents indignes décident de se battre pour sa garde. Un jour, celui là, la petite s’en rappelle bien, sa mère l’a tirée par le bras un peu trop fort pour l’éloigner de son père et elle a chuté. Il y a eu une sorte de craquement et beaucoup de larmes. Cependant, ce geste a arrangé son paternel car il lui a accordé la garde de son enfant.

De toute manière, une fois éloigné de son ex-femme, le type devenait une personne bien, capable de parler sans hurler et même de passer du temps avec sa fille adorée. Parce qu’il l’aimait, lui. Professeur de mathématiques dans un petit collège, monsieur n’avait pas trop de mal à tout gérer. Si ce n’était son ancienne épouse qui arrivait à n’importe quelle heure un week end sur deux pour lui arracher sa fille et la ramener couverte de cadeaux dans des robes de princesses ridicules. Les enfants ne s’achètent pas, marmonna t-il un soir en voyant Malory chanceler sous le poids d’une énorme peluche en forme d’éléphant. Sèchement, l’autre lui répondit qu’on pouvait au moins le faire avec les juges. Évidemment, elle cherchait simplement à effrayer son vis-à-vis.

Histoire de bien prouver aux autorités qu’elle pouvait offrir à son enfant un environnement sain et équilibré, madame se remaria. Dans son esprit tout cela était une compétition et il lui fallait gagner. En prenant les choses avec du recul, son ex-mari réalisa, mais bien plus tard, que c’était un traumatisme d’enfance qui forçait sa femme à agir ainsi. Elle-même avait été abandonnée par sa mère qui n’avait jamais cherché à la récupérer. Pour cette simple raison, elle se devait de ‘remporter’ sa fille. Son nouvel époux n’était pas une lumière mais c’était un brave type. Et, étrangement, Malory s’attacha à lui. Après tout, il jouait avec elle le samedi après-midi et s’était bien mieux que de laisser sa mère lui choisir une robe et des jouets avant de se faire abandonner dans sa chambre qui en débordait. A force de faire pression sur le tribunal, une permission de partir en vacances avec la gamine fut obtenue. Ses parents avaient divorcé lorsque l’enfant avait six ans. A présent, elle venait de fêter son dixième anniversaire.

L’enfant dira, quoique vous lui posiez comme question, qu’elle n’a aucun souvenir de l’accident. Cependant, celle qui a attendu une heure les secours coincée dans une voiture avec deux cadavres plutôt amochés qu’elle voyait malgré la pénombre, c’est elle. Les secouristes ont dit qu’ils entendaient des hurlements, aigus et violents, qui ne cessaient pas. Et les autres victimes ont confirmé cela. Lorsqu’on a enfin tiré la pauvre petite de la carcasse du véhicule, ses yeux grands ouverts fixaient un point dans le vide tandis qu’elle continuait de crier. Comme un disque rayé. Elle n'avait que quelques égratignures. Son paternel arriva à l’hôpital quelques heures plus tard, après avoir été réveillé par un coup de téléphone en plein milieu de la nuit. Il retrouva son bout de chou assis sur une chaise en plastique, dans un couloir froid, qui semblait perdue dans son propre monde. Son cœur chavira lorsqu’on lui demanda d’identifier les corps de son ex-femme et de son époux. Pour ne pas dire qu’il se débarrassa de son dernier repas peu après. Ramener sa petite survivante ne lui posa pas vraiment de problèmes. Elle ne hurla même pas lorsqu’il la plaça dans la voiture. Pendant plusieurs jours, Malory ne fit que de se reposer, ne se levant que rarement. Et puis, après une longue semaine éprouvante, son comportement fit un brusque virage. Son père fut perturbé de la voir agir comme si l’accident n’avait jamais eu lieu. Pour ne pas dire que sa fille riait aux éclats et ne cessait de dire à quel point son voyage à la mer avait été fantastique. Direction le psy. Ce dernier fit en sorte de lui faire avouer ses sentiments. Puis, n’y arrivant pas, commença à essayer de la contredire sur le plan logique. Sauf que Malory ne se laissa pas faire du tout.

Durant les mois qui suivirent, son père remarqua une régression dans la personnalité de l’enfant. Elle se mit à agir d’une façon de plus en plus enfantine, allant jusqu’à faire de nouveau la sieste. Tout cela dépassait totalement le pauvre homme. Et d’autres symptômes du stress post-traumatique commencèrent alors à apparaître de façon violente. Les cauchemars, combinés à ce refus d’accepter le drame. Cela associé un état de vigilance presque effrayant où la petite se mettait à hurler dès que quelqu’un traversait le passage piéton en face de chez eux. Parce qu’il y avait des voitures et les voitures, ça tuait ! Incapable de gérer tout cela, son père fit des recherches jusqu’à trouver cet endroit où il la déposa, même si, pour cela, il fut obliger de lui donner des somnifères pour ne pas qu’elle fasse une crise en montant dans la voiture. Père aimant, monsieur Pierce compte bien revenir chercher sa progéniture. Mais, pour l’instant, il pense que lui et sa fille ont besoin de temps, chacun de leur côté.

Malory est une étoile brillante. C’est ainsi qu’elle aime à se définir. Tout, en effet, dans sa personnalité semble s’accorder avec cette pensée. Ses grands sourires, son regard doux et innocent et le fait qu’elle est généralement énergique. Malheureusement, les sourires sont souvent faux, son regard perdu et elle a constamment envie de pleurer. Les effets du stress post-traumatique l’ont totalement chamboulés. Vous la verrez faire la sieste, se balader avec un doudou, une petite couverture ou une peluche et elle demandera qu’on lui lise des histoires avant qu’elle ne s’endorme. En classe, Malory ment, fait semblant de ne rien comprendre. C’est comme si son souhait était d’avoir cinq ans de nouveau, avant le divorce de ses parents. Tout était stable à cette époque. Terrible mais stable. Son pouce se glisse souvent entre ses lèvres et, dans la cour de récréation, vous la verrez seule avec une peluche ou un livre pour enfant en bas âge, avec des tas de couleurs et très peu de mots. S’enfermer dans son monde ne la réconforte pas. Mais elle n’a rien trouver de mieux. Dès qu’on aborde la mort de sa mère et de son beau-père, un doux rire sort de ses lèvres et elle répond immédiatement qu’ils ont déménagé pour vivre dans le Sud mais qu’ils vont venir lui rendre visite. Bientôt.

Persuadée qu’il lui est impossible de guérir de sa peur, l’enfant la refoule, ne la laissant apparaître que quand des songes si sombres qu’elle s’en réveille en hurlant chaque nuit. Derrière cette douleur permanente se cache cependant un grand cœur. Celui d'une enfant qui protégera toujours ceux que l'on embêtera. Celui d'une personne qui ne supporte pas plus la douleur des autres que la sienne. Généreuse, elle prêtera ses jouets sans la moindre hésitation. Et, en même temps, enfantine et vivant dans un mensonge permanent, elle est facilement repoussée par ses pairs, qui voient plus facilement la vérité que les adultes.

Aimant les couleurs, la peinture, se déguiser, la petite Urd a besoin de suivre un programme particulier, refusant de suivre les cours normaux. Mais, après tout, dans ce pensionnat fait pour les âmes brisées, tout ira bien. Enfin, son père l'espère. Elle-même est dénuée d'espoir, purement et simplement. Pourtant, chaque soir avant de dormir, elle joint ses mains en regardant les étoiles et en faisant le vœu que l'on ne l'abandonne pas ici. Cette enfant à la longue chevelure châtain est complexe mais si simple en même temps. Le témoin de l'innocence bafouée. Quelqu'un qui a peur des voitures et du monde mais qui rêve secrètement de pouvoir y vivre.