VOTRE HISTOIRE ”
Je m’appelle Judith. On dit Jude… Judith Marryweather Sanchez. Cinquième d’une fratrie d’enfants gâtés. Je suis née à Madrid, en Espagne, au sein d’une famille illustre et aisée. Je suis née dans des draps de soie. Puis j’ai migré. En Allemagne d’abord, puis en Angleterre. Je n’ai jamais été la petite préférée. Je passais inaperçue. Mais je m’en foutais. Petite, je voulais devenir funambule. Je croyais que le paroxysme de l’extase se trouvait la. Entre ciel et terre. Et que le bonheur était pendu à des fils invisibles. J’ai perdu mon enfance dans la rue. A chercher une étoile qui serait susceptible de briller pour moi. J’étais belle. Plus encore que ma sœur Lucy. Deux ans de moins que moi. J’en prenais jalousement soin. Lucy… Faut que tu comprennes. C’est la manière dont tu te fardes qui ressemble à un aveu. Tu le sais bien ? Puis une fille un jour s’est présentée devant ma mère. Ou plus exactement quelqu’un l’a présentée. Très vite j’appris que je devais l’appeler sœur. Une cousine dont les parents étaient morts. Les miens l’ont adoptée. Elle était si seule. Elle avait tant besoin d’amour. Mais elle me vole les baisers, les caresses de ma mère. Elle me vole les tendresses de mon père. Moi je m’interdis de l’aimer. Jamais elle ne sera ma sœur. Parce qu’elle appelle ma mère maman et mon père papa. J’ai mis un point d’honneur à tenir ce serment d’enfant jaloux. Lucy elle ne comprenait pas ma haine. Evidemment elle était trop pure. Trop chaste. Elle avait encore la candeur d’une littératrice c’était une petite ingénue.
De nouveau lundi. La seule vraie journée d’automne. J’en venais à dire ce que disait Scarlett O’hara. Demain est un autre jour. Sans réellement y croire.
Et à la terre entière j’en voulais je me taisais. Je ne demandais plus qu’une chose… Qu’on vienne m’achever.
Et un jour une femme… ?
Mais la femme ne vient pas.
Je suis issue de la relation fusionnelle d’un franco-allemande et d’une tchétchène. Maman me dit qu’elle m’aime ; elle me porte sur ses épaules comme elle porte le monde. Elle se donne du mal pour moi. Vous savez, moi j’ai été éduquée pour être d’une parfaite érudition. J’ai reçu toute l’éducation inhérente à mon rang de petite fille du monde. Mes parents m’ont bien élevée. J’étais une fille modèle. J’apprenais vite. J’étais une fille modèle. Mais j’étais malheureuse. Bercée par les comptines anglophones, je grandissais dans l’isolement le plus total. J’étais une enfant devenue femme trop vite. Et l’on me disait pauvre parce que je ne me respectais pas. Je ne me respectais plus. Je faisais comme tout le monde. Je me suis mutilée. J’avais neuf ans lorsque j’ai eu envie de tout foutre en l’air. J’ai alors envoyé chier le ciel. Puis mes parents. Puis Dieu. On voulait m’inculquer des principes moraux. Des principes chrétiens… Et puis quoi encore. J’ai donc fugué ce soir la. J’ai erré quelques temps seule dans les rues de Londres. Mes chaussures me faisaient mal aux pieds. Mes mains si sures creusaient encore vers la liberté. Près du mur, assise sur le coté, ma tête dure rampait encore aux pavés lustrés. Puis j’ai rencontré un ange. Un ange avec des Craven A entre les lèvres. Je ne sais plus son nom. Il est vite devenu mon alter ego. Je ne pouvais plus vivre sans lui. C’est un peu… mon ange gardien. Ce n’est pas une femme non. Mais il m’a sauvé la vie quand même. Il m’a croisée le jour ou mes poignets étaient en sang. J’étais une fille cynique, froide, fanatique, diplomate et vouée aux ordres contemplatifs. Il m’a convaincue de retourner chez moi. Avec quelques mots et une seringue bondée d’héro.
Les poignets à demi-tailladés, je continuais à écrire. D’une encre qui se mêlait à mon sang. Cette cousine devenue ma sœur s’est approchée de moi. Elle se perdait dans un sourire absent. Elle me parle. Elle penche un rien la tête. Mon ultime réaction fut le scalpel que j’avais dans mes poches. Je n’ai pas eu le temps de réaliser. Je n’ai pas eu le temps que déjà son petit corps chétif et meurtri s’affaissait sur le carrelage devenu écarlate. Je ne craignais le jugement de personne. Je n’avais peur de rien. J’étais une fille comme ça… C’est stupide la vie. Je restais la. Impassible et insensible, les yeux rivés sur la trainée rougeâtre dans laquelle gisait ma sœur.
Dans quelques instants, j’allais fuir de toute manière. Dans l’ombre qu’utilisent les traitres et les assassins. Ca tombait bien. J’étais les deux.
Je voulais quitter l’Allemagne. Berceau de mes désespoirs d’enfant. Je voulais tout quitter. J’aurais tout quitté pour lui. Mais je n’avais pas la force morale qu’il me fallait. Je suis revenue chez moi quelques temps plus tard. Mon meurtre ne serait surement pas oublié. Mais alors que mes parents m’embrassaient, je vis ma cousine. Et Lucy. Je ne l’avais donc pas tuée... Tant mieux. Tant pis… ? Je ne comprenais pas. Personne ne m’en voulait. On m’embrassait au contraire. On souriait. Pourquoi êtes vous si heureux… ? Pourquoi vous faites semblant. Moi dans mon geste désespéré j’avais cru faire une grande action. C’était ma voie. Ma voix… ? Le mal. La souffrance. La haine. Est-ce qu’un ciel peut etre bleu… ? De quel coté se trouvent les bons et les méchants ? Tu pleures maman ? Tu pleures à cause de moi ? Dis papa… Est-ce que tu fuis toi aussi ? Ainsi les adultes peuvent fuir… Je ne savais pas.
Puis je me suis mariée. Plus exactement on m'a mariée... A un riche industriel français, qui soit disant m'aimer pour ce que j'étais etc etc. Le discours on le connait bien. Je n'ai pas grand chose à raconter la dessus, j'ai divorcé, mais j'ai gardé son nom.
A dix neuf ans... je suis tombée enceinte. D'une petite fille. Depuis j'ai arreté l'hero. Je crois que c'est comme ça que ça a vraiment commencé... Parce qu'elle était toute ma vie et je ne voulais pas gacher la sienne en plus de la mienne. Mais s'occuper d'une enfant seule ce n'est pas tous les jours facile vous savez... Aliénor m'aide de temps en temps. Nous sommes bien soudées, en vieilles mères celibataires que nous sommes...
Quelques années plus tard, j'ai décidé de devenir professeur. Je vous passe les années d'etudes ça n'a pas grand interet... Arthur, un vieil ami m'a proposé un poste à son institut... Et moi en fidele servante je l'ai suivie docilement.
Mais...
Il y a encore des zones de tenebres dans ma vie. Et je suis un peu folle. Mais ça se soigne...